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Réparons la ville !

Sylvain Grisot
January 10, 2022

Réparons la ville !

Pour en savoir plus : https://reparonslaville.fr

Réparons la ville !
Propositions pour nos villes et nos territoires

Nos villes sont les grandes oubliées du débat politique. Elles fondent pourtant nos relations humaines. Leur construction doit être culturelle et sensible pour répondre à nos besoins.

Au moment où nous entamons une décennie décisive pour l’avenir de l’homme sur la Terre, nous ne pouvons plus attendre : il faut proposer une vision courageuse de la ville, à la hauteur des enjeux du siècle. Une vision qui tienne compte de ses habitants comme du ménagement de la planète. Mais alors qu’il y a urgence à adapter la ville qui nous entoure aux chocs qui commencent, nous privilégions encore l’étalement urbain et la construction neuve.

Dans ce livre, les auteurs sont optimistes : puisque l’essentiel de la ville de 2050 est déjà là, il est temps d’en assumer l’héritage et d’engager sa transformation. Comment faire ? En réparant la ville pour la rendre adaptable à nos envies et nos besoins. En bâtissant une ville qui donne envie d’y vivre.

Un livre écrit à deux voix, à l’attention des citoyens comme des décideurs. Un ouvrage sur nos villes, pour nous tous.

Christine Leconte est présidente du Conseil national de l’ordre des architectes depuis juin 2021. Enseignante à l’ENSA-Versailles, son engagement est écologique, social et culturel. Elle prône le droit à l’architecture pour tous, et pousse le développement des solutions pionnières qui existent en urbanisme et en architecture pour s’adapter et atténuer les effets du changement climatique.

Sylvain Grisot est urbaniste et fondateur de dixit.net, une agence de conseil et de recherche urbaine résolument engagée pour les transitions de la fabrique de la ville. Conférencier, enseignant et chercheur, il est l’auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire (Éditions Apogée 2021), dans lequel il invite les acteurs de la ville à faire la transition pour une ville frugale, proche, résiliente et inclusive.

Sylvain Grisot

January 10, 2022
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  2. Correction et mise en pages : Nord Compo
    Conception graphique de la couverture : Laure Bombail
    Réalisation de la couverture : Julien Lemière – Atelier du Bourg
    Illustration de couverture : Julien Billaudeau
    © 2021, Éditions Apogée
    Une marque de la société Feuilles de style, Rennes
    ISBN : 978-2-84398-725-0
    Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction,
    sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.
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  3. Christine Leconte
    et Sylvain Grisot
    Réparons la ville !
    Propositions pour nos villes
    et nos territoires
    Éditions Apogée
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  4. Christine Leconte est présidente du Conseil national
    de l’ordre des architectes depuis juin 2021.
    Enseignante à l’ENSA-Versailles, son engagement
    est écologique, social et culturel. Elle prône
    le droit à l’architecture pour tous, et pousse le développement
    des solutions pionnières qui existent en urbanisme
    et en architecture pour s’adapter et atténuer
    les effets du changement climatique.
    Sylvain Grisot est urbaniste et fondateur de dixit.net,
    une agence de conseil et de recherche urbaine résolument
    engagée pour les transitions de la fabrique de la ville.
    Conférencier, enseignant et chercheur,
    il est l’auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire
    (Éditions Apogée, 2021), dans lequel il invite les acteurs
    de la ville à faire la transition pour une ville frugale,
    proche, résiliente et inclusive.
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  5. Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
    1. Ce qu’il faut laisser derrière nous . . . . . . . . . . . . . 15
    2. La ville du futur est déjà là . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
    3. Faire la ville en circuit court . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
    4. Bien chez soi et bien en ville . . . . . . . . . . . . . . . . 43
    5. Faire la campagne à la ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
    6. Libérer nos rues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
    7. La ville est le cœur de notre démocratie . . . . . . . 67
    8. Quels territoires voulons-nous ? . . . . . . . . . . . . . . 77
    Ode à ma mère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
    Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
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  6. PRÉAMBULE
    Christine Leconte : Il faudra que l’on explique dès l’intro-
    duction que tout ce livre est une longue conversation entre
    nous qui s’étale sur plusieurs mois.
    Sylvain Grisot : Oui, un ouvrage écrit à deux voix plutôt
    qu’à quatre mains. D’ailleurs il pourrait s’ouvrir par un dia-
    logue ? On pourrait se présenter et raconter pourquoi on a
    besoin de prendre la parole. Tu veux commencer ?
    Christine : Alors on y va. Je suis architecte et urbaniste,
    et j’enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de
    Versailles. Au début de ma pratique, je me suis rendu compte
    qu’il était difficile de mettre en œuvre ce que nous appre-
    nions à l’école d’architecture, au détriment de la qualité de
    nos espaces de vie. Pour faire son travail d’architecte correc-
    tement, il faut dépenser une énergie folle alors que parfois
    il s’agit uniquement de bon sens ! J’habitais alors en grande
    banlieue parisienne où tout devait être fait en voiture. Mes
    aspirations habitantes, mes préoccupations écologiques et ce
    que l’on construisait autour de moi ne coïncidaient pas…
    Était-ce le monde que nous voulions laisser à nos enfants ?
    Alors, progressivement, je me suis engagée dans différentes
    instances jusqu’à devenir présidente du Conseil national
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  7. de l’ordre des architectes, pour montrer que l’architecture
    apporte des solutions concrètes aux défis écologiques et socié-
    taux que nous avons à relever.
    Sylvain : Je suis un urbaniste qui fabrique la ville sur la
    ville, comme on dit dans la profession. J’invente un avenir à
    des friches ou de futures friches. Je fais ça depuis une quin-
    zaine d’années, et plus que ça depuis que j’ai créé mon agence.
    Enfin, pas que ça, puisque j’enseigne aussi un peu et passe pas
    mal de temps à écrire et à faire de la recherche pour prendre
    du recul sur ma pratique. Ça fait quelques années que j’ai
    le sentiment que l’on a une façon de fabriquer nos villes en
    contradiction avec les enjeux planétaires, mais que les alter-
    natives peinent à décoller. Je n’arrive pas à me résoudre à la
    destruction de terres agricoles pour y étaler des lotissements
    et des zones de tout type, alors que les friches et les bâtiments
    vacants se multiplient. Alors j’ai écrit un livre là-dessus, pour
    partager des questions plus que mes certitudes. C’était une
    façon de commencer une réflexion qui est encore loin d’être
    achevée, mais aussi de faire beaucoup de rencontres très riches
    qui me permettent de cheminer. Et toi, Christine, qu’est-ce
    qui te préoccupe dans la façon dont on fait nos villes ?
    Christine : Ce qui m’alerte le plus est le manque de vision
    globale des décideurs. On ne réfléchit plus à l’aménagement
    du territoire depuis plusieurs décennies. On devrait plutôt
    ménager notre territoire et apprendre à faire avec le vivant.
    J’avais envie d’écrire ce livre pour essayer de révéler les défis
    qui nous attendent et proposer des pistes pour concilier un
    cadre de vie de qualité pour les habitants, préserver nos res-
    sources et apporter plus d’attention aux milieux vivants.
    Sylvain : C’est le moment d’écrire ce livre, parce que c’est
    le moment de passer à l’action. D’amorcer cette transition dont
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  8. on parle beaucoup, mais qui peine à passer en actes. Quand
    on pense et qu’on fabrique la ville, on a des responsabilités
    immenses. Sur le terrain je rencontre des professionnels et des
    citoyens qui ont compris qu’il allait falloir changer. Les enjeux
    sont encore un peu flous et il faut prendre le temps de les
    comprendre. Et puis si beaucoup savent pourquoi il nous faut
    faire la ville autrement, reste à expliquer comment le faire et
    à rassurer face au changement. Si cette décennie est décisive,
    c’est qu’elle doit permettre de faire converger les aspirations
    des individus et la volonté des décideurs.
    Christine : Aller vers cette nouvelle vision pourrait nous
    rendre collectivement fiers et heureux. Arrêtons d’être accros
    au neuf, continuons à construire mais autrement. Certains
    espaces devront être réhabilités, réinventés, voire déconstruits,
    mais nous avons un patrimoine formidable sur lequel nous
    appuyer. Proposons de réparer cette ville au lieu de chercher à
    en construire une autre. L’image de la réparation nous renvoie
    à des souvenirs d’enfance : par exemple lorsque nous étions
    fiers d’avoir réussi à réparer notre vélo. C’est bien sûr plus
    complexe avec la ville, mais réparer, c’est aussi prendre soin,
    comprendre l’histoire des lieux et ce qui nous lie aux autres
    générations. Les lieux fabriquent des liens qui permettent de
    créer ensemble une société plus solidaire et conviviale.
    Sylvain : La ville qui nous entoure est pleine de ressources
    qui vont nous permettre de passer ce siècle incertain. Il faudra
    qu’on essaie de faire comprendre dans ce livre que si les crises
    nous imposent de changer de modèle, ce changement va nous
    permettre aussi de bâtir une ville plus désirable et accueil-
    lante. C’est la ville que l’on voudrait construire si on n’y était
    pas contraints. Alors bien sûr le changement inquiète, mais
    nous avons déjà toutes les solutions entre les mains. À nous
    désormais de les mettre en œuvre.
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  9. 1.
    Ce qu’il faut laisser derrière nous
    Mardi 29 juin 2021, le monde découvre Lytton. Ce petit
    village canadien de 250 habitants situé à 260 km de Vancouver
    n’avait pourtant jamais fait parler de lui. Il fait soudainement
    la une des journaux télévisés en battant pour la troisième fois
    consécutive le record des plus fortes chaleurs au Canada, avec une
    pointe à 49,6 °C. La température y est d’habitude inférieure à
    25 °C à cette période.
    Le lendemain, alors que la température commence à peine à
    baisser, les éclairs de chaleur sur une nature desséchée provoquent
    un incendie à proximité. Il raye le village de la carte en quelques
    minutes et la population fuit les flammes en ordre dispersé.
    L’onde de choc est planétaire. Le village martyr n’aura pas
    brûlé pour rien. En France, à 8 000 km de là, le président de
    la République fait un discours poignant sur BFM TV dès le
    lendemain, repris en boucle dans le monde entier : le temps est
    enfin aux actions concrètes pour lutter contre le réchauffement
    climatique. La ministre de la Transition écologique annonce
    immédiatement une reprise complète de la loi « Climat et
    Résilience » encore en débat au Parlement, pour en restaurer
    les ambitions et permettre au pays d’atteindre réellement ses
    objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les
    présidents de région et de département fraîchement élus font
    tous référence à Lytton dans leur discours d’investiture. Et tous
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  10. annoncent aussi la mise en œuvre de mesures d’urgence qui
    redonnent enfin de l’espoir dans la capacité de mobilisation de
    nos institutions.
    La fabrique de la ville
    au cœur des crises du siècle
    La fin de ce texte introductif n’est malheureusement qu’une
    fiction. Cette tragédie bien réelle n’a eu aucun impact sur les
    débats franco-français. Lytton n’est qu’une victime de plus
    du réchauffement climatique, sur une liste qui commence à
    sérieusement s’allonger. Une victime pour rien ? Peut-être pas
    tout à fait, car les choses changent malgré tout. Le e siècle
    avait survécu au bug de l’an 2000, mais la pandémie a peut-
    être enfin eu sa peau, comme la Première Guerre mondiale
    a mis fin au e. Nous vivons la fin tardive du siècle de la
    grande accélération, et pas encore tout à fait le début d’une
    nouvelle ère. Ce point d’articulation des temps multiplie les
    enjeux et les incertitudes. On parle volontiers d’une transi-
    tion que l’on imagine douce et verte, mais c’est une vraie
    révolution qui s’annonce pour la façon dont nous pensons
    et construisons nos villes. Car la fabrique de la ville est au
    cœur des trois crises du siècle : celles des ressources, de la
    biodiversité et du climat.
    Commençons par la première, celle des ressources. La
    construction de la ville épuise les ressources naturelles et
    énergétiques. C’est l’activité qui consomme le plus de res-
    sources minérales et produit le plus de déchets en France.
    Construire au e siècle, c’est décaper les sols, creuser des
    fondations, forer des tunnels, déplacer des millions de tonnes
    de terre dont on ne sait plus que faire. C’est utiliser des
    montagnes d’agrégats, des mètres cubes d’eau, de l’acier en
    quantité et du ciment à foison pour ériger nos murs et bâtir
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  11. nos infrastructures. C’est aussi consommer beaucoup d’énergie
    pour produire tout ça. Alors face à l’épuisement de certaines
    de ces ressources dont la plupart ne sont pas renouvelables,
    c’est toute la machine qui risque de se gripper au moindre
    signe de pénuries.
    Mais faire la ville consomme aussi une ressource,
    immatérielle celle-là : l’espace. Tous les ans, entre 20 000
    et 30 000 hectares de sols agricoles, naturels ou forestiers
    changent d’usage en France pour accueillir l’extension de nos
    espaces urbains. Ce sont quatre à cinq stades de foot… toutes
    les heures ! Cet étalement urbain participe largement à la crise
    de la biodiversité par l’assèchement des zones humides et la
    destruction de milieux naturels. Il vient aussi réduire les sur-
    faces cultivables au moment où les impacts du réchauffement
    climatique fragilisent la productivité de nos exploitations et
    menacent la sécurité alimentaire du pays.
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  12. Nos modèles de ville participent aussi activement à la crise
    climatique. La construction et la vie des bâtiments génèrent
    des émissions massives de gaz à effet de serre, et l’étalement
    urbain dessine une ville où les usages sont systématiquement
    mis à distance, intensifiant les mobilités carbonées. Pourtant
    les faits sont établis : notre climat change comme il n’a pas
    changé depuis des millénaires et ce sont bien les activités
    humaines qui sont à l’origine de ces bouleversements. Le
    processus est lancé et il va falloir s’adapter à ce réchauffement,
    mais une réduction forte et rapide de nos émissions de gaz
    à effet de serre peut encore limiter le choc. Car c’est bien
    d’un choc violent dont il s’agit. Les événements extrêmes
    commencent à se multiplier : vagues de chaleur, pluies torren-
    tielles, sécheresses, incendies… Ce qui hier était exceptionnel
    devient la norme : la canicule de 2003 sera bientôt un été
    normal à Paris. Ce sont aussi des événements d’une tout autre
    ampleur qui sont attendus, dans des régions qui n’étaient pas
    touchées auparavant. L’incendie de Lytton ou les inondations
    de la vallée de l’Ahr en Allemagne – deux territoires jusqu’ici
    épargnés par de tels phénomènes – ne sont que les prémices
    de ces nouvelles conditions climatiques.
    Les chocs se multiplient et nos villes sont en première
    ligne. Au bord des cours d’eau comme en secteur littoral, elles
    sont plus exposées aux inondations, au recul du trait de côte
    et aux submersions marines. L’urbanisation accélérée de ces
    secteurs a aussi augmenté le nombre de personnes exposées
    aux aléas, pendant que l’imperméabilisation des sols intensifie
    le ruissellement de l’eau de pluie. Les espaces urbains sont
    aussi plus sensibles aux canicules dont l’effet est décuplé par
    la minéralisation des sols. Nos villes sont donc victimes des
    dérèglements climatiques comme de nos choix d’aménage-
    ment.
    Si le rythme lent des réformes nous place aujourd’hui sur
    la trajectoire d’un invivable réchauffement de 2,7 °C d’ici à la
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  13. fin du siècle, ce n’est pas que la conséquence de la procrasti-
    nation climatique de la classe politique mondiale. C’est aussi
    une sidération collective face à l’ampleur des changements à
    engager, une incapacité à en expliquer clairement les raisons
    et à amorcer le mouvement. Cette crise climatique est aussi
    sociale. Elle touche principalement les plus pauvres, à l’échelle
    de la planète comme de nos villes, et accentuera encore les
    inégalités à l’avenir. Pendant ce temps, les plus riches se pro-
    tègent. Responsables de l’essentiel des émissions, ils peuvent
    s’extraire de leurs conséquences. Il va nous falloir inventer de
    nouvelles façons de comprendre les enjeux et de tracer une
    trajectoire qui ne laisse personne de côté. C’est donc une
    crise démocratique qui s’ajoute aux trois crises du siècle. Pour
    passer le cap, il sera nécessaire de retisser le vivre-ensemble,
    les solidarités, le partage et les rouages les plus intimes de
    notre démocratie à toutes ses échelles. Et celle de nos villes
    sera déterminante.
    Adapter nos villes et nos territoires à ces chocs inédits va
    nous demander de forger une nouvelle culture du risque. Nous
    avons longtemps écouté le passé pour anticiper les problèmes
    et imaginer des solutions. Mais l’instabilité s’accentue, et nos
    références ne sont plus valides. Impossible désormais de nous
    reposer uniquement sur l’histoire, la technique et la procédure
    pour nous préparer. Alors, appelez ce virage comme vous
    voudrez : transition, bifurcation, redirection ou révolution. Il
    est de toute façon sec et doit être pris rapidement. Ce n’est
    pas un ajustement de curseur, mais bien un changement de
    modèle de la fabrique de la ville. Il nous faut accepter de vivre
    dans l’incertitude, improviser des solutions et organiser la rési-
    lience. Les problèmes commencent à arriver, et les solutions
    qui paraissent évidentes sont souvent d’élégants alibis pour
    ne rien changer. Il va nous falloir avancer à l’aveugle, prendre
    des impasses et apprendre vite de nos erreurs. Bienvenue dans
    l’ère de l’incertitude.
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  14. Rien n’est à inventer,
    mais tout reste à faire
    À l’épicentre des trois crises du siècle, la ville est à la
    fois la source des problèmes et l’une des principales victimes.
    La bonne nouvelle est qu’elle peut aussi apporter de nom-
    breuses solutions. La fabrique de la ville porte une responsa-
    bilité immense en ces temps pivots car elle peut amorcer une
    transition plus globale de nos sociétés en montrant la voie.
    Aux échelons nationaux et locaux, les documents stratégiques
    ambitieux et les plans d’action prolifèrent. Localement, les
    initiatives audacieuses se multiplient et inventent des solutions
    en se confrontant au réel. Rien n’est à inventer, mais tout reste
    à faire. Car les solutions existent, mais tout l’enjeu de cette
    transition est de donner une forme concrète aux ambitions :
    il faut que les projets pionniers essaiment et deviennent le
    nouveau normal de la fabrique urbaine.
    Renoncements
    Il nous faut donc accélérer l’achèvement du e siècle pour
    commencer à répondre sérieusement aux enjeux du suivant.
    C’est ici qu’on retrouve les « 3 A » du changement. Le premier
    pour « Adapter ». C’est la somme de ces changements de nos
    pratiques individuelles et collectives. « Adopter » ensuite, avec
    toutes ces nouvelles actions à engager, faciles à lister mais
    tellement plus difficiles à mettre en œuvre. Car nous n’avons
    pas les ressources pour nous investir dans de nouvelles voies,
    faute de renoncement. Il manque en effet le troisième A,
    pour « Abandonner ». Que laisse-t-on de côté pour faire de la
    place ? Ce n’est pas qu’une question de grands projets devenus
    inutiles. C’est aussi la fabrique quotidienne de la ville qui
    est questionnée : arrêter d’élargir cette route, d’aménager ce
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  15. lotissement, d’étendre ce parc d’activités, de construire cet
    équipement… Alors faut-il tout arrêter ? Certainement pas,
    mais faire le tri entre ce qui relève du siècle qui s’achève et ce
    qui est à la hauteur de celui qui s’ouvre. La liste des renon-
    cements nécessaires n’est peut-être pas longue, mais elle ne
    sera pas simple à mettre en œuvre.
    Commençons par abandonner la monoculture automobile.
    Nous avons adapté nos rues à ses besoins, transformé nos villes
    à son image et redessiné nos territoires à coups d’infrastruc-
    tures routières et d’étalement urbain. La voiture est devenue
    l’étalon du design urbain. Elle dicte la courbure des voies, la
    profondeur des sous-sols et même la taille des chambres de
    nos enfants. Même si elle roulait à l’eau claire et qu’elle était
    conduite par des anges, elle prendrait encore beaucoup trop de
    place dans nos villes pour qu’on puisse y vivre correctement.
    La voiture s’est imposée dans nos vies comme dans nos villes
    avec ses promesses de liberté. Nous nous y sommes volontai-
    rement attachés et en sommes aujourd’hui prisonniers. C’est
    le verrou qui bloque toute adaptation de nos villes aux enjeux
    du siècle. Faisons-le sauter.
    Abandonner le tout-voiture nécessite de penser autrement
    nos modes de déplacement. Penser une ville de la proximité
    où les usages se rapprochent. Avoir une politique volontariste
    pour les mobilités douces et collectives. C’est abandonner
    l’étalement urbain qui crée une ville diluée dans ses nappes
    de parkings et ses routes, à en oublier d’être fréquentable à
    pied. C’est donc tourner le dos à ce demi-siècle consacré à la
    conquête des terres agricoles et la construction neuve, pour
    dédier celui qui commence à transformer le déjà-là.
    La culture automobile a aussi changé notre façon de faire la
    ville. Au cours du e siècle, nous avons transposé l’organisa-
    tion des usines d’Henry Ford à la fabrique de nos villes. Entre
    le pavillon périphérique vendu sur catalogue et l’immeuble
    défiscalisé dessiné sous Excel, nous avons standardisé la ville
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  16. pour pouvoir industrialiser sa production. Nous avons mas-
    sifié les opérations pour bénéficier des économies d’échelle,
    en concentrant nos efforts sur les grandes opérations. C’est
    à cette fabrique industrialisée de la ville qu’il va aussi falloir
    renoncer car la transition passe par un patient travail dans
    la dentelle de la ville déjà là. Il va nous falloir apprendre le
    cousu main pour multiplier les petites opérations attentives
    au détail, partout dans la ville habitée.
    Il nous faut aussi abandonner cette priorité donnée à la
    construction neuve. Tout nouveau besoin donne lieu à la
    création de surfaces, sans jamais s’interroger sur la nécessité
    de construire ou de construire autant. Et quand un bâti-
    ment doit changer d’usage, le diagnostic est trop souvent le
    même : il vaut mieux démolir que réhabiliter. Impossible de
    s’adapter aux subtilités de l’existant et de perdre du temps à
    ajuster les programmes quand on veut construire des produits
    standard et optimiser les processus de production. Alors on
    casse tout et on recommence. Il va pourtant falloir se désin-
    toxiquer de la construction neuve. Elle accélère l’étalement
    urbain, multiplie les surfaces à entretenir, la consommation
    de matières premières et le volume de déchets. L’équation
    est claire, construire un immeuble nécessite 70 fois plus de
    matériaux et produit 5 fois plus d’émission de gaz à effet de
    serre qu’une réhabilitation. Les rendez-vous du siècle nous
    imposent donc de ne démolir qu’en dernière extrémité, de
    focaliser nos efforts sur la transformation de l’existant et de
    construire moins, beaucoup moins.
    La fin de la ville facile
    La ville est à l’image de notre société. Le e siècle a été
    celui de l’accélération de la consommation des ressources par
    une fabrique de la ville qui s’est progressivement industrialisée.
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  17. C’est un modèle très récent à l’échelle de nos villes, mais pas
    à celle de nos vies. Nous avons tous toujours connu cela dans
    notre vie consciente. C’est le « normal » dont il est si diffi-
    cile de nous détacher alors que le besoin de faire autrement
    s’impose. La fabrique industrialisée de la ville, consommatrice
    de terres agricoles, de matériaux et d’énergie, doit pourtant
    céder la place au cousu main pour adapter la ville qui nous
    entoure aux enjeux du siècle. C’est la fin de la ville facile,
    mais le début d’une nouvelle aventure.
    Propositions
    • Engager un débat national sur les enjeux de transition
    de la fabrique de la ville impliquant élus, professionnels
    et citoyens.
    • Penser la ville pour ses habitants en rompant avec la
    dépendance automobile.
    • Mettre un terme à l’éloignement systématique des usages
    et à la consommation d’espaces agricoles et naturels.
    • Rompre avec un mode de fabrication de la ville focalisé
    sur les grandes opérations et des produits immobiliers
    neufs standardisés.
    • Faire essaimer les pratiques pionnières de la fabrique
    de la ville.
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  18. 2.
    La ville du futur est déjà là
    Sylvain : Cela fait un demi-siècle qu’on consacre l’essen-
    tiel de nos efforts à construire du neuf toujours plus loin.
    Mais aujourd’hui, on a des virages à prendre, et vite. Nous
    oublions que la ville se renouvelle tout doucement, 80 % de
    la ville de 2050 est déjà là ! Les enjeux de l’adaptation de la
    ville existante sont donc la priorité, et le neuf devrait être
    construit avec beaucoup plus d’exigence.
    Christine : On est toujours dans le modèle de réponses
    aux crises du e siècle, avec des politiques du logement cen-
    trées essentiellement sur la relance par la construction neuve.
    « Quand le bâtiment va, tout va », ce slogan a la vie dure. Mais
    aujourd’hui, nous sommes dans des crises d’une autre nature,
    qui remettent en cause l’existence de l’humain sur Terre. La
    réponse ne peut pas venir des modèles d’avant.
    Sylvain : On annonce régulièrement un nouvel objectif
    de construction neuve. Ces chiffres ronds font des slogans
    qui claquent, mais rarement changer les choses. On produit
    bon an, mal an trois cent cinquante mille logements neufs
    chaque année, mais les variations de rythme sont plus liées à
    la conjoncture mondiale et aux échéances électorales qu’aux
    effets de nos politiques du logement. On a besoin de plus
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  19. de logements avec les séparations et le vieillissement de la
    population, mais on en construit déjà deux fois plus que
    l’augmentation du nombre de ménages. Et pour réduire nos
    émissions de gaz à effet de serre et nos consommations de
    ressources, on va être obligés de réduire ce rythme.
    Christine : On oublie beaucoup de choses dans ces débats.
    Nous avons plus de trois millions de logements vacants en
    France qui ne sont pas habités aujourd’hui, et ce nombre
    augmente rapidement. Alors bien sûr, une partie n’est tout
    simplement pas au bon endroit, mais beaucoup pourraient
    faire l’objet de réhabilitations pour recréer une offre de loge‑
    ments de qualité dans les centres urbains. Dans les secteurs
    les plus tendus, on a aussi une vacance spéculative et l’éva‑
    poration d’une partie du parc locatif au profit de plateformes
    de locations touristiques. Il faut remédier à ça.
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