Dans le cadre de la réunion mensuelle du Lions Club La Défense, j’ai présenté ce sujet sur l'illectronisme en France.
# Diapositive 1
Je tiens d'abord à remercier Andrea pour m'avoir invité à parler de ce sujet qu'est l'illectronisme.
Avant de commencer : j'aimerais savoir si vous avez déjà entendu ce terme ou si c'est un sujet qui vous parle ?
# Diapositive 2
Je m'appelle Luc Poupard, je vis et travaille en Suisse, actuellement chez Proton, l'éditeur de Proton Mail, une messagerie e-mail chiffrée ayant pour vocation de protéger la vie privée des utilisateurs et utilisatrices.
Par ailleurs, je suis aussi président de l'association Paris Web dont la mission est de promouvoir le développement d'un web de qualité et accessible à tous et à toutes.
Cela prend principalement la forme d'un événement annuel de conférences et ateliers autour de la conception web, du design au développement en passant par la gestion de projets ou de contenus, avec comme valeur fondamentale l'accessibilité aux personnes en situation de handicap.
C'est par ce biais que j'ai rencontré Andrea et que j'ai découvert le sujet de l'illectronisme dont je vais vous parler.
# Diapositive 3
Avant de rentrer dans le vif du sujet, on va poser le contexte qui est la cause du problème : la dématérialisation.
# Diapositive 4
La société s'informatisait déjà fortement dans les années 90, mais depuis l'avènement du haut-débit au début des années 2000, le développement des outils numériques a profondément changé nos sociétés au point qu'on peut difficilement imaginer un monde sans numérique désormais.
L'impact du numérique sur notre vie est équivalent à ce qu'a apporté l'invention de l'imprimerie en termes de diffusion du savoir, et la révolution industrielle en termes de bouleversement techniques.
# Diapositive 5
Mais voilà, comme chaque changement sociétal de cette ampleur, cela ne se fait pas sans heurts et j'ai une histoire vraie pour illustrer cela : le Plan Préfectures Nouvelle Génération, dont les grandes lignes sont affichées à l'écran : lancé en 2017, il s'agissait de réformer les modalités de délivrances de titres réglementaires (CNI, passeport, permis de conduire, carte grise) par voie dématérialisée. Sur le papier c'est bien, sauf que le plan était de substituer complètement les démarches classiques par un processus numérique.
Certaines personnes ont évidemment rencontrées des difficultés à renouveler leurs documents voire se sont retrouvées sans possibilité de le faire au point d'impacter gravement leur vie : il y a des personnes qui ont littéralement perdu leur emploi, faute d'avoir pu renouveler leur permis de conduire !
Et c'est sans compter sur les bugs techniques qui ont pu apparaître une fois le service mis à la disposition du public.
On pourrait citer plein d'autres exemples et je suis persuadé que certaines personnes ici ont pu être confrontées à des problèmes similaires avec des démarches en ligne.
Mais c'est un exemple qui démontre bien qu'aussi prometteurs les outils numériques peuvent être, c'est difficile de compter uniquement sur ces derniers.
# Diapositive 6
Maintenant qu'on a une idée du cadre, on va plonger dans le sujet : qu'est-ce que l'illectronisme ?
# Diapositive 7
Sommairement on peut le comparer comme de l'illettrisme 2.0, et c'est d'ailleurs de là que vient le terme, qui est un mix des mots illettrisme et électronique.
L’illectronisme est la situation d’une personne ne possédant pas les compétences numériques de base ou ne se servant pas d’Internet.
En pratique, les raisons sous-jacentes sont :
- le manque de compétences : incapacité totale ou partielle
- le manque de matériel : impossibilité d'accès aux outils
On peut aussi entendre parler d'inhabileté numérique, qui est un terme un peu plus juste mais plus difficile à prononcer.
Pour l'histoire, on prête la première mention de ce concept à Lionel Jospin en 2019.
# Diapositive 8
En 2023 l'INSEE a publié une étude sur le sujet et estimait qu'en France,15,4 % des personnes de 15 ans et plus sont en situation d'illectronisme.
- 13,9 % n’ont pas utilisé Internet au cours des 3 derniers mois, généralement pour des raisons matérielles
- 1,5 % ont utilisé Internet mais n’ont pas les compétences numériques de base
En sachant que l'un va généralement avec l'autre : si une personne n'a pas de matériel à la maison, il y a de fortes chances qu'elle n'ait pas non plus les compétences qui vont avec.
# Diapositive 9
Comme l'informatique c'est très large, il est important que les compétences numériques mentionnées dans cette étude sont les suivantes :
- recherche d’information : produits ou services marchands, administratifs
- communication : envoyer ou recevoir des courriels, etc.
- utilisation logiciels : bureautique (traitement de texte, tableur)
- protection vie privée : gestion de ses mots de passe et accès, partage de ses informations personnelles
- résolution de problèmes : accéder à son compte bancaire par Internet, copier des fichiers, remplir sa déclaration d'impôts
# Diapositive 10
Au-delà d'avoir les compétences et/ou le matériel, il est aussi intéressant de savoir que près de la moitié de la population éprouve au moins une forme de difficulté avec les outils numériques, quels qu'ils soient. Ça peut être dans l'utilisation d'un site ou service en ligne qui paraît trop compliqué, ou dans l'usage du matériel.
# Diapositive 11
Au-delà des compétences, il est important de noter que les limitations matérielles sont aussi un facteur important du problème de l'illectronisme.
J'ai encore quelques statistiques pour s'en rendre compte assez facilement.
(Déroulement des chiffres présentés sur la diapositives)
C'est typiquement les personnes dans l'une ou l'autre de ces situations qui a explosé au visage des pouvoirs publics lors de la crise sanitaire en 2020. Au moment où tout le pays a dû se confiner et que le seul moyen de communiquer, travailler ou suivre des cours était d'utiliser des outils en ligne.
Certaines personnes se sont retrouvées totalement démunies car pas équipées et ça a généré des problèmes bloquants qui peuvent paraître complètement bêtes, comme l'incapacité d'imprimer les attestations de sortie lorsqu'elles ont mises en place au début. Le dispositif a été assez vite adapté pour que les gens puissent les écrire à la main ou les éditent directement sur leur téléphone, mais c'est encore un exemple tout bête qui démontre l'écart entre la théorie d'une société numérique, et la réalité du terrain.
# Diapositive 12
Enfin pour conclure sur la problématique des compétences et du matériel, il est aussi important de noter que plus de la moitié des personnes pensent avoir été personnellement victimes d'un accès indésirable à leurs données personnelles.
Pour quelle raison je donne ce chiffre ? Parce que si on part du principe que toutes les démarches sont dématérialisées et que nous devons de fait transmettre des informations très personnelles en ligne, cela devient une question majeure de sécurité et de protection de notre vie privée.
Et ce n'est pas la récente fuite des données des personnes inscrites à France Travail / Pôle Emploi / ANPE sur les 20 dernières années qui peut nous rassurer sur la question.
Littéralement pratiquement la totalité des personnes actives en France sur 20 ans ont certaines de leurs données dans la nature depuis cette fuite…
# Diapositive 13
Bref, ce n'est pas le sujet et on pourrait faire une présentation entière sur la protection de nos données personnelles.
Maintenant que j'ai exposé les problématiques qui se cachent derrière l'illectronisme, je vais vous parler du public concerné par ce problème.
# Diapositive 14
Évidemment la population à laquelle on pense en premier si on parle de problèmes d'usage du numérique, ce sont les personnes âgées pour qui la technologies et les outils sont apparus au cours de leur vie. Parmi ce public, il y en a une partie pour qui le numérique est davantage une soucoupe volante venue d'un autre monde qu'autre chose. Ce qui peut se comprendre, entre les capacités d'apprentissage qui diminuent avec l'âge et l'extrême rapidité des évolutions techniques, c'est évidemment très compliqué de s'adapter pour certaines personnes.
# Diapositive 15
Mais malgré ce qu'on pourrait penser les personnes âgées ne sont pas les seules concernées !
C'est d'ailleurs sans doute partiellement la raison pour laquelle les pouvoir publics ont complètement échoué dans leur politique de numérisation des services publics, comme l'a pu démontré l'exemple de 2017 dont je vous parlais plus tôt : ils ont à tort pensé que seules les générations les plus âgées étaient concernées et qu'il s'agissait juste d'une question de temps avant que l'ensemble de la population ne soit "numérisée".
En réalité, d'autres publics sont concernés :
- les plus précaires : par manque de moyen financier
- les moins diplômées : par manque d’éducation voire illétrisme
- isolées géographiquement : zones blanches rendant difficile l'accès
- isolées socialement : car n'ont pas la nécessité de communiquer avec des proches
- en situation de handicap : pour cause d'un niveau d'accessibilité insuffisant voire nul
- en prison, sans abri, migrants : cumul non exclusif des points précédents
# Diapositive 16
Et il y de manière encore plus surprenantes les jeunes !
On pourrait penser qu'étant né dans un monde numérique, les jeunes sont "naturellement" adaptés à cette environnement et maîtrisent ces outils : mais c'est complètement faux !
S'ils évoluent comme des poissons dans l'eau sur les réseaux sociaux et autres application de partage de photos ou vidéos comme TikTok, beaucoup ont une énorme carences de connaissances et compétences des outils du monde professionnel et administratif. Il y a un vrai décalage entre leur usage personnel et l'usage commun des services en ligne.
Au point que pendant les confinements, les profs les plus "alertes" avec le numérique ont adopté l'application Discord pour s'adapter aux habitudes d'usage des élèves et garder le contact.
# Diapositive 17
- On est passé de 35% de personnes n'utilisant pas Internet en 2009 contre 15,4% en 2021
- Grâce à la crise sanitaire notamment, qui a forcé les usages de fait avec le développement du télétravail, des cours à distance, etc
- Mais les personnes les plus modestes ont 6,5 fois plus de chances d’être en situation d'illectronisme en 2021 contre 4,2 en 2019
- On peut donc assez facilement corréler la dégradation du niveau de vie général et l'illectronisme
- Basiquement : les inégalités sociales constatées dans le monde réel se reflètent clairement dans le monde numérique, ce qui est triste à constater quand on sait que le web et le numérique au sens large est supposé lever des barrières plutôt que de consolider les barrières existantes…
# Diapositive 18
Maintenant qu'on connaît l'étendue du problème, on va se pencher sur les solutions.
Elles sont évidemment aussi multiples que la variété de problèmes et de publics concernés, donc je ne vais pas vous faire une liste exhaustive mais plutôt une mise en avant des différents axes disponibles.
# Diapositive 19
Solutions privées/associatives
- Emmaüs Connect a été créé en 2013 et offre des solutions d'accès et d'accompagnement dans l'utilisation des outils numériques, et même du matériel reconditionné à petit prix, aux populations en situation de précarité économique ou même juste numérique
- WeTechCare accompagne les individus et organisation pour les aider à réduire la fracture numérique relative à leurs services/contextes, notamment avec le site Lesbonsclics.
Solutions publiques
- Maison France Services : près de 3000 structures sur tout le territoire où les usager peuvent être aidés d'un ou d'une conseillère pour effectuer des démarches en ligne et gagner en autonomie
- Aidants Connect : service pour former et accompagner les aidants
- Hubs territoriaux : consolidation des offres disponibles sur le territoire, qu'elles soient publiques, associatives ou privées
Limites des solutions publiques
- ont tendance à chercher de nouvelles solutions et organisations alors qu'il faudrait avant tout améliorer les structures existantes
- sont à la ramasse : accessibilité en exemple, la première loi fixant les contraintes d'obligation d'accessibilité des sites publics a presque 20 ans et au 27 mars 2024 : moins de 3% des 247 démarches en ligne les plus utilisées en France sont conformes au RGAA (Source: https://www.linkedin.com/posts/okeul_rgaa-activity-7178677997296582657-tLoL à partir de https://observatoire.numerique.gouv.fr/observatoire)
# Diapositive 20
Si vous participez de prêt ou de loin à la conception ou même tout simplement à la gestion d'un site ou d'un service numérique en ligne, vous avez aussi potentiellement un rôle à jouer.
Je vous propose quelques grands principes à garder en tête.
# Diapositive 21
Pour aller un peu plus loin, je vous invite aussi à regarder le projet Opquast, dont la mission est d'améliorer la qualité des sites et services web, notamment en mettant à disposition une liste de 240 règles permettant d'assurer la qualité d'un site web.
Je vous partage ici quelques une des règles de cette liste, qui font du sens et sont utiles pour lever les barrières de l'illectronisme.
Elles peuvent paraître de bon sens exposées comme ça, mais je peux vous garantir qu'il y a une quantité incroyable de sites qui n'appliquent pas ces pratiques.
# Diapositive 22
Merci pour votre écoute.
# Diapositive 23
Sources :
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/7633654
- https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-numerique-edition-2022-Rapport.pdf
- https://www.paris-web.fr/2022/conferences/illectronisme-et-numerisation-des-services-publics.php
- https://www.senat.fr/rap/r19-711/r19-7111.pdf
- https://www.24joursdeweb.fr/2019/pour-un-web-plus-inclusif-quelques-pistes-pour-reduire-les-inhabilites-numeriques/
- https://www.youtube.com/watch?v=ZFZ1feZmOLY